A voir à Clichy : L’Arbre de Judée planté par Saint-Vincent de Paul

Méconnu et bien caché, l’Arbre de Judée planté jadis par Saint-Vincent de Paul sur les terres de la paroisse de Clichy est toujours visible aujourd’hui, pour qui sait où regarder…

L’église de Clichy avait au temps des premiers rois la forme d’un édifice primitif, fait de bois. Elle devint ensuite une modeste paroisse appelée l’église Saint-Sauveur, puis, en 1525, elle fut agrandie et reconstruite par le seigneur féodal de l’époque. Elle devint dédiée à Saint Médard et fut bénite le 1er octobre 1525 par l’évêque de Paris, François de Poncher, comme le relate l’abbé Lecanu en 1848 dans « Histoire de Clichy-la-Garenne ». Elle comprenait alors 5 autels et autant de chapelles.

Le 2 mai 1612, Vincent de Paul devient curé de la paroisse de Clichy. L’une de ses priorités sera de restaurer l’église qui tombe en ruines. Dès 1623, il y fera faire des travaux et, en 1629, il rachètera huit arpents de terres grâce aux deniers du culte ; ainsi sera créé le jardin du presbytère dans lequel il plantera lui-même un arbre de Judée.

Le choix de cette essence n’est pas innocent : son symbolisme est très fort, déjà parce que cet arbre est originaire de la sainte province de Judée (région dans laquelle Jésus Christ est né et a vécu, selon la Bible) ; mais aussi parce que la tradition veut que ses fleurs soient les larmes du Christ et leur couleur, le pourpre, la couleur de la honte du traître (toujours d’après la Bible, Judas se serait pendu à un arbre de Judée consécutivement à sa trahison).

Si aujourd’hui il n’est plus rare de croiser un Cercis Siliquastrum dans nos rues, à l’époque, c’était exceptionnel. Ce spécimen est d’ailleurs très probablement l’un des premiers apportés en France. L’église Saint Médard est décorée de vitraux représentant les moments forts de la vie de son illustre prêtre et l’un d’entre eux dépeint la plantation par ses soins de l’arbre qui nous intéresse. Il est visible tout de suite à gauche, après être entré dans l’édifice.

Hommage mortel

Apprécié des fidèles, et connu pour avoir fondé de nombreuses œuvres de charité, Monsieur Vincent sera canonisé en 1737. Ironiquement, c’est l’élévation d’une nouvelle église consacrée en son honneur (la paroisse Saint Vincent de Paul, qui jouxte l’église Saint Médard) qui signera l’arrêt de mort de son arbre. En 1906, une loi ordonne de « désigner et de conserver dans leur état normal les paysages qui ont un caractère artistique, historique ou pittoresque ». Dans ce cadre, une commission dédiée entame des prospections et, très vite, dresse une liste de 5 arbres historiques à sauvegarder, dont fait partie « l’arbre de Judée planté par Saint Vincent de Paul dans le jardin de son presbytère à Clichy ».

Malheureusement, le classement ne sera jamais effectué, comme le déplore l’érudit Lucien Augé de Lassus qui écrivit, en 1911, une nécrologie végétale pour la société pour la protection des paysages de France : « À Clichy, le curé a voulu agrandir son église, et l’arbre de Judée a été arraché. On l’a déplacé, donc tué. On ne déplace pas un arbre de trois cents ans, c’est pure hypocrisie : on le tue. Le classement par moi sollicité aurait peut-être conjuré cette destruction. On peut voir encore du reste l’arbre de saint Vincent de Paul : c’est du bois sec », note-t-il avec amertume.

Il faut dire que le vénérable représentant de la famille des Fabacées n’a pas été ménagé au fil des ans : dans sa jeunesse, les amoureux gravaient leurs initiales sur son tronc. En 1889, lors de la Fête annuelle de Saint Vincent de Paul en présence de Son Éminence le cardinal Richard, archevêque de Paris, « M. le curé Gréa a eu l’idée de faire fabriquer à ses frais, avec du bois de l’arbre célèbre planté par Saint Vincent de Paul, de charmantes petites croix munies d’un Christ et d’un anneau, qui, après avoir été bénites par Son Éminence, ont été gracieusement distribuées à tous les fidèles présents », relatait l’Univers en 1889. Cette fête, qui a perduré jusqu’au milieu du 20ème siècle, voyait toujours une procession porter la relique de Saint Vincent jusqu’à son arbre en grande solennité.

L’opération a été renouvelée en 1897, comme l’indique La Croisade Française qui relaie un appel à la charité des fidèles pour la construction de la nouvelle église et précise qu’ « à titre de remerciement, ils recevront une petite croix, faite avec le bois de l’arbre planté par Saint Vincent de Paul il y a près de trois siècles ».

La situation n’était pas meilleure en avril 1944, comme le rapportait Le Journal : « sous un auvent de chaume, comme on en voit dans les parcs botaniques, se dresse, tordu, raviné, noueux, consolidé de ciment, le tronc d’un arbre de Judée que M. Vincent planta : « Il est bien malade, se lamente le sacristain. Mais aussi, que voulez-vous, les gens ne sont pas raisonnables ; à la moindre occasion, ils arrachent un morceau de son écorce ». Le même quotidien, dans une édition de 1902, permettait d’en savoir plus sur les mensurations de l’arbre avant sa décrépitude : il mesurait « à sa base 2 mètres 80 de circonférence et s’élève à 7 mètres 60 de hauteur (…) c’est dans ses branches mortes qu’on a pris le bois incrusté dans les petits crucifix dits de Saint-Vincent-De-Paul ».

De l’arbre mort, il reste aujourd’hui une modeste souche recouverte de lierre que l’on peut voir en face de l’entrée du presbytère. Sous son écorce, le ciment des consolidations passées est toujours visible.

Crédits photos : Archives nationales ; DR


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