Le coup d’état de Napoléon s’est préparé à Clichy

napoleon001Tout le monde connaît Napoléon, le premier empereur des français, mais saviez-vous que c’est à Clichy que son destin impérial s’est forgé ?

Dans les années 1700, il existait trois châteaux à Clichy : le Pavillon Vendôme (qui existe toujours et abrite désormais l’Office du Tourisme) ; la demeure de Crozat le Riche (dont seul le portail subsiste au 13 rue du Landy) et le château seigneurial de Clichy, le plus grand de tous (qui a aujourd’hui disparu). C’est ce dernier qui nous intéresse. Habité depuis le 13ème siècle par les seigneurs de Clichy, il s’est transmis de famille noble en famille noble pour arriver en possession de la marquise de Lévis qui, en 1796, le loua à la famille Récamier qui s’en servit de résidence secondaire.

Soutien de l’empereur

recamier002La célèbre Juliette Récamier (1777-1849), mondaine érudite, y tenait des « salons » où le tout Paris politique et intellectuel se pressait. Celle qui trouva l’amour dans les bras du prince Auguste de Prusse mais aussi dans ceux de l’écrivain Chateaubriand était à l’époque mariée au banquier Jacques-Rose Récamier (un mariage arrangé : lors de leur union, qui ne fut jamais consommée, elle avait 15 ans et lui 42) qui la présenta à Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon.

La « Belle des Belles », telle qu’on la surnommait à l’époque, fit chavirer son coeur, et Lucien devint un habitué des réceptions de Juliette. Si elle refusa ses avances, elle lui offrit néanmoins son amitié, peut-être par peur d’un scandale face aux menaces de suicide d’un homme éconduit.

Réunions secrètes

recamier01Toujours est-il que c’est dans la belle propriété de Clichy que s’est organisé le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799) : des réunions préparatoires secrètes se tinrent chez Madame Récamier, comme l’évoque Joseph Fouché (ministre de la Police du Directoire, du Consulat et de l’Empire) dans ses Mémoires : « Lucien réunit Boulay de la Meurthe, Cabanis, Emile Gaudin, et assigna à chacun son rôle… dans la maison de campagne de Madame Récamier. Lucien va combiner les mesures législatives qui doivent coïncider avec l’opération militaire ». Le volet stratégique du 18 Brumaire s’est donc dessiné à Clichy. D’autant que Jacques-Rose a participé financièrement, en octroyant un prêt à Napoléon Bonaparte (d’autres suivront, d’ailleurs, pendant son « règne », afin notamment de financer les dépenses de guerre).

Le coup d’état sera une réussite et gratifiera ses conspirateurs de belles promotions : Napoléon passera de général à Premier Consul ; Lucien deviendra ministre de l’Intérieur, Jacques-Rose obtiendra un siège de gérant de la Banque de France. Quant à Juliette, les retombées seront plus sombres.

Disgrâce impériale

recamier003Assez vite, elle se montrera en désaccord avec l’autoritarisme de l’empereur, un sentiment partagé par la majorité des invités de son « salon » (dont beaucoup sont d’ailleurs royalistes). Ses amis les plus proches seront exilés de Paris par Bonaparte en tant qu’opposants politiques. Puis, en 1805, elle refusera les avances d’un Napoléon qui aurait aimé faire d’elle sa maîtresse, ou au moins une dame de sa cour. C’est le ministre Fouché qui fut l’émissaire de ce désir. « Un certain jour Fouché arrive à Clichy (…) Fouché croyait si peu le refus possible (…) de quelque précaution oratoire qu’elle enveloppât son refus, Mme Récamier ne put adoucir pour Fouché le dépit de voir son plan renversé. Il changea de visage et, emporté par la colère, éclata en reproches (…) et il quitta Clichy pour n’y plus revenir », écrit Amélie Lenormant (la fille adoptive de Juliette) dans son ouvrage « Souvenirs et correspondances tirés des papiers de Mme Récamier ».

Napoléon s’agace de qu’il considère comme un outrage, et ordonne la fermeture du « salon » de Clichy. Puis, en 1811, Juliette est bannie de la capitale. Elle n’y reviendra qu’en 1814, lorsque l’Empereur abdiquera. Elle décèdera dans une demeure cossue, proche du Palais Royal, en 1849 lors d’une grande épidémie de choléra. Elle est enterrée au Cimetière de Montmartre.

Le château de Clichy

plantrudaineConcernant le château (ci-contre, détail du plan Trudaine de 1743-1776, le château est au centre avec son immense parc qui descend le plus au Sud) il fut loué par les Récamier de 1796 à 1806. Puis, la marquise de Lévis le vendit à l’équivalent de l’époque d’un promoteur immobilier sans scrupules, qui divisa son parc en terrains qu’il revendit par lots, tandis que la magnifique bâtisse fut démembrée en guise de carrière de pierres… Ce qui fait qu’aujourd’hui, plus aucun vestige ne subsiste de ce superbe édifice. Il y a quelques années, des murs de son parc étaient encore visibles rue Martre (là où se dresse aujourd’hui le conservatoire Delibes) et au n°2 rue de l’Abreuvoir. Il faisait face à l’emplacement du Pavillon Vendôme (qui existait à l’époque de Juliette Récamier, mais pas à l’époque de la construction du château), ses somptueux jardins s’étendaient en largeur de la rue Martre à la rue de Paris ; et en longueur jusqu’au boulevard Victor Hugo.

Un sauvage au château

plan1775Au cours des siècles, bien des choses se sont passées dans ce petit palais (à gauche, plan de 1775, le château est au centre avec son parc qui descend le plus au Sud), mais on en a perdu la trace. En revanche, Mme Récamier et son cercle d’amis nous ont laissé une correspondance fournie. A Clichy, les repas étaient accompagnés de numéros de musique ou de danse, et les convives se laissaient même aller à se faire des farces… Parfois, des originaux étaient invités. Le livre « Mémoires sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour » de Louis Constant Wairy (premier valet de chambre de l’empereur) nous en offre un aperçu en racontant une anecdote : « On attendait ce jour-là un hôte remarquable, le fameux sauvage de l’Aveyron. Il arriva enfin, accompagné de M. Yzard, qui était à la fois son précepteur, son médecin et son bienfaiteur. Ce sauvage, dont l’origine est inconnue, fut trouvé dans la forêt de l’Aveyron, où il avait sans doute, pendant plusieurs années, vécu de fruits, de végétaux, et des animaux qu’il pouvait attraper (…) il ne put jamais apprendre à faire d’autre usage de sa voix que d’articuler quelques inflexions gutturales (…) Madame Récamier le fit asseoir à son côté (…) trop occupé de l’abondance variée des mets, qu’il dévorait avec une avidité effrayante, le jeune sauvage s’inquiétait peu des beaux yeux dont il excitait lui-même l’attention. Quand le dessert fut servi et qu’il eut adroitement mis dans ses poches toutes les friandises qu’il put escamoter, il s’échappa tranquillement de table. Personne ne s’aperçut que le jeune sauvage était sorti de la salle à manger, pendant qu’on écoutait une chaude discussion qui s’était élevée entre La Harpe et l’astronome Lalande, au sujet des opinions athées de celui-ci et du singulier goût qui lui faisait manger des araignées. Tout à coup un bruit partant du jardin fit supposer à M. Yzard que son élève seul en était la cause (…) nous le suivimes tous à la recherche du fugitif, que nous aperçumes bientôt courant sur la pelouse avec la vitesse d’un lièvre. Pour donner plus de liberté à ses mouvements, il s’était dépouillé de ses vêtements jusqu’à la chemise. En atteignant la grande allée du parc, plantée de très grands marronniers, il déchira son dernier vêtement en deux (…) puis grimpant sur l’arbre le plus voisin avec la légèreté d’un écureuil, il s’assit au milieu des branches ».

Quelques pages plus loin, c’est l’atmosphère champêtre du Clichy d’alors qui est décrite : « Madame Récamier proposa de faire une promenade dans le village. Après quelques détours, les accords d’un fifre, d’un violon et d’un tambourin nous firent porter nos pas du côté de la rivière. Il y avait une noce à la ginguette de Clichy ». De quoi être rêveur en imaginant tous ces beaux endroits, lorsqu’on se promène aujourd’hui dans les rues du centre ville…

Crédits photos : Archives nationales ; Musée Carnavalet ; DR


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