Méconnu des français, le cimetière canin d’Asnières-sur-Seine (situé au bout du pont de Clichy, à moins de 200 mètres de Clichy à vol d’oiseau) est pourtant incontournable : il s’agit en effet du premier cimetière animalier jamais créé au monde.
C’est l’auteur Georges Hamois, et la journaliste féministe Marguerite Durand, qui l’ont fondé en 1899. Il abrite les dépouilles d’animaux célèbres, comme la vedette de cinéma Rin Tin Tin, mais aussi de nombreuses bêtes à poils et à plumes qui manquent cruellement à leurs maîtres anonymes. Visite d’un endroit pas comme les autres.
Un peu d’histoire
Tout commence le 21 juin 1898 à Paris : ce jour-là est adoptée une loi qui autorise l’enfouissement des animaux (auparavant, leurs cadavres finissaient au mieux chez l’équarisseur, au pire avec les ordures ou dans la Seine). Grâce à cela, l’ouverture d’un cimetière animalier devient possible ! L’idée fait son chemin dans l’esprit de Georges Harmois et de Marguerite Durand, qui fondent la Société Française Anonyme du Cimetière pour Chiens et Autres Animaux Domestiques et achètent, le 15 juin 1899, la moitié de l’île des Ravageurs à son propriétaire. Fin août 1899, le cimetière ouvre ses portes. A l’époque, les berges d’Asnières-sur-Seine sont un lieu de villégiature pour les parisiens, et l’île leur fait face. Elle se situe à 100 mètres de toute habitation, comme l’exige la loi pour l’enfouissement d’animaux.
Après avoir passé l’imposant portail Art Nouveau dessiné par l’architecte Eugène Petit, cette nécropole alors unique au monde se dévoile : elle est divisée en quatre quartiers : celui des chiens, celui des chats, celui des oiseaux, et celui des autres animaux. Les compagnons de célébrités de l’époque, comme Alexandre Dumas, Courteline ou Sacha Guitry, y trouvent leur dernière demeure. Malheureusement, le temps et l’irrespect des lieux ont depuis fait leur oeuvre, et certaines tombes ont disparu.
En 1975, le comblement du bras de Seine qui entourait le cimetière lui fait perdre son caractère insulaire. Malgré un succès croissant, la société qui gère l’endroit fait faillite et décide de le fermer définitivement en septembre 1987. Suite à la mobilisation de nombreuses personnes et de la Mairie d’Asnières, le site est sauvé in extremis le 25 juin 1987 par un arrêté ministériel le classant à l’inventaire des Monuments Historiques pour son «intérêt à la fois pittoresque, artistique, historique et légendaire».
La ville d’Asnières-sur-Seine en devient propriétaire en 1989 et le gère depuis 1997. Mais ces années d’abandon ont un prix, comme me l’explique le régisseur principal : délaissé, le cimetière a été pillé. Certains monuments ont été détruits ou volés. «On ne sait plus où est enterrée la lionne de Marguerite Durand : la sculpture qui signalait sa tombe n’existe plus, et les archives du cimetière -dont ses plans- ont disparu», regrette-t-il. Heureusement, la ville d’Asnières a depuis fait un gros travail de restauration et, surtout, d’entretien du lieu au quotidien.
100.000 «locataires»
Lors de ma visite au cimetière, je suis impressionnée par le nombre d’animaux qui y reposent désormais. Sur les 9800 m2 de sa superficie, 100.000 bêtes seraient enterrées, selon un employé du lieu.
Au détour des allées, je découvre des tombes de toutes les tailles, et de toutes les époques. Certaines brillent comme si elles étaient neuves, d’autres aux gravures illisibles avec l’âge sont enfouies sous la mousse. Une atmosphère paisible règne en chaque endroit : en bord de Seine grâce à l’écoulement de l’eau, et dans les parties plus éloignées du fleuve du fait des chants des oiseaux.
A l’entrée, on est accueilli par l’imposant monument qui rend hommage à Barry, le premier et mythique St-Bernard des religieux de l’Hospice du Grand St Bernard (en Suisse). Toute la nécropole lui est dédiée. La légende dit de lui qu’il «a sauvé 40 personnes, et fut tué par la 41ème» (un soldat égaré qui, le prenant pour un loup, l’aurait poignardé avec sa baïonnette). Sa dépouille naturalisée est visible au Muséum d’Histoire Naturelle de Bern.
Juste en face, se trouve une très discrète mais non moins émouvante plaque de pierre à même le sol. Elle est dédiée au 40.000ème animal inhumé ici. Le 15 mai 1958, un chien errant est venu mourir aux portes du cimetière. La Direction d’alors lui a offert cette sépulture.
A proximité se trouve la tombe du célèbre chien Moustache (mort en 1811), héros de l’armée napoléonienne, qui aurait d’ailleurs gratifié l’Empereur d’un salut militaire de la patte. Sans oublier la tombe de Dick, chien des tranchées pendant la première Guerre Mondiale, dont le décès laisse son maître «tout seul, ne croyant plus à rien». Les chiens ne sont, cela dit, pas les seuls animaux à avoir droit de cité ici : chats, oiseaux, chevaux, poissons, lapins, singes, lions, hamsters, poules, et même un mouton, un maki et une gazelle, gisent également en ces lieux.
Les chats maîtres du cimetière des chiens
Les chats règnent d’ailleurs en maîtres sur le cimetière : ils sont nombreux à déambuler et à se prélasser dans ses allées. Au fond du cimetière, un bâtiment appelé la Maison des Chats loge et nourrit les chats libres. Il est géré par une association locale.
Signalons d’ailleurs la présence d’un caveau contenant les restes de 100 chats de l’Association des Amis des Chats d’Asnières. Aujourd’hui âgée de plus de 80 ans, sa Présidente, Mme Martinez, fait de la protection animale depuis plus de 40 ans. «J’ai créé mon association il y a 27 ans pour aider les animaux. J’accueillais les chats errants chez moi, je plaçais ceux qui pouvaient l’être et je gardais les autres – les handicapés, les sauvages, les traumatisés – . Il m’est arrivé d’avoir jusqu’à 60 minets chez moi», me confie-t-elle par téléphone.
Elle m’explique ensuite qu’elle a fait incénérer tous les chats qui ont vécu et qui sont morts chez elle. Elle conservait leurs urnes depuis de nombreuses années à son domicile tout en continuant d’oeuvrer pour le bonheur des matous (elle en héberge 20 à ce jour). Il y a cinq ans, son frère décède, lui laissant un petit héritage. Après avoir bien réfléchi, elle décide d’utiliser cet argent pour faire ériger le caveau que l’on peut désormais admirer au cimetière, et achète une concession de 20 ans. Cette bienfaitrice des chats espère que lorsqu’elle aura quitté cette Terre, la Mairie d’Asnières conservera son caveau, pour son lien avec le patrimoine de la ville.
«A notre petit ange»
Là où me mènent mes pas, je découvre des épitaphes au milieu des plaques de marbre et des fleurs. Toutes sont touchantes.
Morceaux choisis : «A la chatte Caty, toi qui fut longtemps ma compagne fidèle, je garde dans mon coeur ton image immortelle» ; «Elvis, A mon fils bien-aimé, ta maman qui ne t’oubliera jamais» ; «A Harley, la mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure» ; «A Louis, Monsieur le Plus Beau» ; «A Phèdre, ma chienne guide bien-aimée, si loin, si proche» ; «Ramsès, pattes et mains jointes, nous avons vécu 9 années d’amour et de complicité» ; «Faust, mon joli mouton bien-aimé, tu étais trop bon et très intelligent» ; «A notre très chère Emjie (…) c’était un coeur enrobé de poils, 6Kg d’amour pur»…
D’autres sont en revanche beaucoup plus tristes, comme l’inscription sur la tombe de Jappy, mort en 1901 : «Plus je vois les hommes, plus j’aime mon chien» ; ou celle, poignante, sur une autre sépulture : «A la mémoire de ma chienne Emma, fidèle compagne et seule amie de ma vie errante et désolée».
On remarque aussi des attentions qui redonnent le sourire, comme ce chien enterré avec, sur sa tombe, une sphère de verre renfermant ses balles préférées. Il y en a vraiment pour tous les goûts et ce sont véritablement les concessionnaires qui donnent son âme au cimetière.
Parole aux maîtres
Au cours de ma visite au cimetière, j’ai fait la connaissance de plusieurs personnes venues fleurir la tombe de leur cher disparu. Tous procèdent selon le même rituel : d’abord, ils nettoient la sépulture avec affection et précaution, avant de la décorer. Je discute d’abord avec un jeune homme discret, Mohamed, qui réside en région parisienne. Aujourd’hui est un jour particulier pour lui : c’est l’anniversaire de sa chienne Bilma, qui est décédée de causes naturelles en 2009. Une journée qu’il célébrait avec elle de son vivant, et qu’il souhaite encore marquer malgré son départ.
Il dit venir une à deux fois par mois sur la tombe de Bilma, pour entretenir sa mémoire. Son meilleur souvenir avec elle ? «Le jour où je l’ai reçue, Gare du Nord. C’était un tout petit chiot, caché sous la veste de ma mère qui me l’apportait en surprise. Quand sa tête est sortie, j’ai tout de suite craqué pour elle», raconte-t-il avec émotion. A droite de ces quelques lignes, vous pouvez voir une photographie de Mohamed et Bilma, qu’il m’a gentiment envoyée par e-mail pour publication dans cet article.
Plus loin, je croise Odette et Martine en plein ménage d’une dalle de marbre rose dédiée à un Beagle nommé Ravageur. Mère et fille ne tarissent pas d’éloges à son propos. «Nous n’avons que des bons souvenirs avec lui, à part la maladie…». C’est en effet un cancer qui a emporté ce «chien de chasse qui n’a heureusement jamais chassé». Si la mère vient une fois par mois lui rendre visite, la fille, qui habite désormais à Toulouse, est présente à chacun de ses passages dans la capitale. Toutes deux s’amusent d’une drôle de coïncidence : «l’éleveur lui a donné le nom de Ravageur, et c’est également le nom de l’île sur laquelle nous sommes, sur laquelle a été construit le cimetière». Un petit clin d’oeil inattendu du destin à la dernière demeure de leur compagnon. «A Noël, il reconnaissait ses paquets au pied du sapin et allait tout seul chercher ses cadeaux», me confient-elles encore, émues. Si elles sont bien conscientes que leur ami les a quittées, pour elles le cimetière canin est un moyen de «savoir où il se trouve» et «d’avoir un endroit où aller» pour se recueillir en sa mémoire.
Les quittant, je rencontre la «maman» d’Elvis, un yorkshire mort en 2010. Elle n’arrive pas à se remettre de sa disparition. Elle vient pratiquement tous les jours sur sa tombe et, perfectionniste, ne se contente pas de nettoyer cette dernière, mais nettoie également l’intégralité de l’allée qui l’abrite, afin qu’il puisse «bien se reposer». «Il a toujours eu le meilleur de son vivant, je veux qu’il en soit de même maintenant», m’explique-t-elle. Elvis semblait être un modèle d’éducation : il décrochait le téléphone, disait bonjour au chauffeur dans le bus, mangeait proprement et choisissait même les fleurs chez le fleuriste ! En partant, la dame embrasse sa tombe pour lui dire au revoir, en lui murmurant «à demain mon chéri».
Enfin, non loin de là, je remarque un homme bouleversé, le regard perdu, immobile depuis 10 minutes devant une sépulture qu’il était venu fleurir. Les larmes aux yeux, il m’explique qu’il est venu rendre visite à son regretté chien, Scampi. Un Westie «exceptionnel», décédé en 2008 à l’âge de 7 ans. «On l’a empoisonné», déplore le parisien, choqué qu’un tel crime n’ait pas été puni. Il faut dire que son auteur n’a jamais révélé son identité, et, même s’il l’avait fait, la Loi française n’est guère sévère dans ce genre de cas (une simple amende de 1500 €).
Me dirigeant vers la sortie, je repense à toutes ces histoires en songeant aux concessions à perpétuité souscrites à l’époque, et qui sont aujourd’hui délaissées. Si le cheval et la lionne de Marguerite Durand reposent ici, leur maîtresse est quant à elle enterrée au cimetière des Batignolles. Peut-être aurait-elle aimé les retrouver dans sa dernière demeure ? Il y a fort à parier que de nombreux maîtres aimeraient trouver le repos éternel auprès de leurs animaux.
Combien ça coûte ?
Si vous souhaitez offrir à votre regretté compagnon une sépulture au cimetière des chiens d’Asnières, comptez d’abord environ 1000 € pour l’inhumation (ce prix comprend le marbre et la taille d’une dalle basique -sans gravure-, un cercueil basique et l’enfouissement). Si vos finances vous le permettent, vous pouvez ajouter des options à votre guise. Par exemple : monument en son honneur, cérémonie lors de l’inhumation, etc. Quant aux prix des concessions, ils varient entre 140 et 280 € par an. Pour 20 ans, le tarif est d’environ 3000 €, et il est ensuite possible de prolonger la durée par tranches de 10 ans ou plus. Enfin, sachez qu’il n’est plus possible de réserver un emplacement à perpétuité.
Cambriolage au cimetière
En février 2012, l’imposante tombe du caniche Tipsy, enterré en 2003 au cimetière, a été profanée. Il se murmurait que sa maîtresse, une riche Américaine, l’avait inhumé avec un collier de diamants de grande valeur. Des voleurs ont pris l’histoire au pied de la lettre et sont allés déterrer le précieux bijou, qui était bel et bien là. Filant avec leur étincelant butin (d’une valeur de 9000 €), ils ne furent jamais retrouvés, comme France Soir l’indiqua à l’époque. La tombe a depuis été restaurée.
AVANT / APRES
Pour terminer, je me suis amusée à retrouver des tombes anciennes dont j’avais pu dénicher des photographies d’époque. Ci-dessous, vous pourrez comparer leur état d’origine à leur état d’aujourd’hui :
BLACK
BLACK et YET-YET
BOB
FLY
LEDA
MAGGI et PIPO
PRINCE COLIBRI
TEDDY
TOUTOUNE
Et en BONUS, quelques autres photographies prises pendant ma visite :
Crédits photos : Orianne VATIN ; Mohamed ; DR
Merci beaucoup pour cette belle balade virtuelle dans ce répositoire d’amour et de tendresse si peu connu. Vous êtes une merveilleuse conteuse ! (Je m’excuse si je fais des erreurs en français … malhereusement ce n’est pas ma langue maternelle. 🙂
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Merci pour cet article touchant et bien documenté. On sent l’amour des maîtres à travers ces photos et ces témoignages.
Votre blog que je découvre est passionnant!
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Quel magnifique hommage à nos plus fidèles compagnons. Merci de nous avoir fait découvrir ce lieu exceptionnel
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