Au numéro 38 de la rue de Neuilly, à Clichy, se dresse un imposant groupement d’immeubles qui n’attire pas le regard des passants. Et pourtant, il y a matière à s’y intéresser !
Ce lotissement HBM (Habitations à Bon Marché, ce qu’on appelle aujourd’hui un HLM) fut édifié au début des années 30 par Urbain Cassan (1890-1979), l’un des architectes de l’hôpital Beaujon, pour les agents du réseau de chemin de fer de l’Etat. Les 82 logements de l’ensemble étaient en effet destinés aux cheminots. Les immeubles, qui ont été largement rénovés en 1990, appartiennent aujourd’hui à l’ICF (société immobilière des chemins de fer français) et accueillent des habitants à revenus modestes de toutes provenances (plus uniquement des travailleurs ferroviaires).
Mais le plus intéressant dans tout cela, ce sont les sous-sols. Une fois que l’on passe la grille d’entrée, on découvre des halls classiques et sans prétention (le carrelage au sol date cela dit de l’entre deux guerres) flanqués de portes blanches toutes simples, qui ne laissent aucunement deviner ce qu’elles cachent… Car dès qu’on les ouvre, on repart 70 ans en arrière en découvrant un témoignage presque parfaitement préservé de notre passé !


Par ailleurs, afin de protéger au mieux la population, le sous-sol a été renforcé dans le cadre d’un programme d’étaiement réalisé au cours de l’année 1939 (comme l’indique un document que j’ai pu consulter aux archives municipales). On peut encore voir ce qui a été mis en place dans ce cadre : il s’agit des poutres métalliques qui sont omniprésentes, et qui viennent renforcer la structure du bâtiment pour rendre les caves plus résistantes face à un éventuel bombardement qui ferait s’écrouler l’immeuble.
Dans le dédale des couloirs, je constate avec émotion la présence de très nombreuses inscriptions d’époque, réalisées au pochoir, pour indiquer la direction des abris et des sorties de secours. Les deux locaux de « réserve DP » ont toujours leurs portes intactes (il s’agissait d’endroits de stockage utilisés par les membres de la Défense Passive, probablement pour entreposer des chaises, des masques à gaz, et tout autre équipement utile). On ne peut cependant plus les ouvrir car elles abritent désormais des caves particulières. Il en va de même des zones dédiées à servir d’abris : elles sont aujourd’hui closes par des portes et sont devenues des caves privées. Les sorties de secours qu’elles comportaient (en général des murs faciles à briser, pour permettre une évacuation d’urgence si nécessaire), ont soit disparu, ou alors sont dans ces endroits désormais inaccessibles (sauf pour leurs propriétaires).
30 mai 1942


Ailleurs, je vois les trois lettres « FFI » apporter un peu d’espoir dans les ténèbres. Plus loin, c’est la date d’avril 1944 qui se présente à moi. Ces traits furent très certainement tracés au cours du très violent raid aérien du 21 avril 1944. L’aviation britannique avait cette nuit là lâché plus de 2000 bombes sur Saint Denis, Montmartre et la Porte de la Chapelle. L’alerte avait duré environ 3 heures. A Clichy, quelques bombes sont tombées près de l’hôpital Beaujon mais n’ont pas fait de victimes sur notre territoire (en revanche, des morts furent à déplorer à Saint Ouen et plus de 650 civils perdirent la vie sur l’ensemble des zones touchées).
Croix de Lorraine
Enfin, à un autre endroit, je crois reconnaître une croix de Lorraine a proximité d’un tag. A part ce graffiti sur l’un des panneaux, l’état de conservation de ce réseau souterrain est remarquable. Le fait qu’il soit protégé des visites indésirables y est certainement pour beaucoup. J’en profite d’ailleurs pour remercier chaleureusement le gardien de l’immeuble, qui a très gentiment accepté de m’accompagner dans ces caves en dehors de ses heures de travail. Sans lui, cet article aurait été impossible.
Ci-dessous, quelques photographies supplémentaires du passé des lieux (avant les immeubles, il y avait des maisons, comme vous le montreront ces quelques cartes postales anciennes) ; mais aussi du présent avec d’autres images que j’ai réalisées lors de ma visite.











Crédits photos : Orianne VATIN ; DR