Le Gourou-escroc de la rue Roux !

Saviez-vous qu’un homme se faisant appeler « Le Messie » officiait à Clichy au début du vingtième siècle ? Ce « mage », qui disait pratiquer la magie noire, escroqua de nombreuses personnes.

C’est le quotidien Le Journal qui, le premier, fit éclater l’affaire. Dans l’édition du 23 août 1901, une brève évoque l’arrestation et l’interrogatoire par monsieur Rogeaux, commissaire de police de Clichy, d’un individu, âgé de 30 ans, qui se faisait appeler « le nouveau Messie ». L’homme aurait escroqué ses victimes à hauteur d’une somme totale estimée à 400.000 anciens francs (soit environ 1.500.000 euros d’après le convertisseur de l’Insee).

« Il y a cinq ou six ans à peine, l’habile magicien était un modeste ouvrier tapissier (…) la crédulité publique lui a fait de fortes rentes », note Le Journal. Il reçoit « ses malades dans un superbe salon où s’élève un autel flamboyant sur lequel, au moment des incantations, quatre domestiques placent une vierge noire en métal qui ne pèse pas moins de 200 kilos », ajoutent encore les journalistes.

Le lendemain, le même quotidien publie de nouvelles informations. Les ennuis judiciaires du « sorcier » ont débuté avec la plainte déposée par une certaine madame P « qui, obsédée la nuit par des fantômes noirs, quémanda du sorcier une recette contre les apparitions et reçut de lui, moyennant la somme de 120 francs, une bouteille d’eau bénite suivant les rites de la messe noire, remède merveilleux contre tous spectres. Cette fois, pourtant, le remède n’agit pas, et Madame P, flairant la mystification, se plaignit au parquet (…) C’est un véritable office de magie et de sorcellerie qu’avait monté le sieur X, d’abord installé au boulevard Malesherbes, d’où, traqué par la police et condamné à 40.000 francs d’amende, il se réfugia à Clichy. Les cartes, la divination par le marc, les entrailles de poulet, l’envoûtement, la messe noire, tout cela était connu et pratiqué par X (…) il empoisonne les gens à distance, et sa façon d’opérer est des plus simples. Il suffit de faire manger des oeufs crus à la personne visée et celle-ci dépérit, et après quelques jours meurt. Hâtons-nous d’ajouter qu’on n’a encore constaté aucun cas d’empoisonnement imputable aux prestiges du mage », peut-on lire dans un article surréaliste.

Suite à ces révélations, la presse parisienne s’empare du curieux fait divers. Ainsi Le Matin publie, le 30 août 1901, une interview exclusive de l’homme, qui se fait désormais appeler Emile. « Emile lit dans les mains. Emile envoûte. Emile sait dire la messe noire à minuit (…) Je pensais rencontrer le mage dans un appartement luxueux (…) Emile se contente d’habiter le dernier étage d’une maison qui loge des vaches au rez-de-chaussée ». En effet, à l’époque, l’étable d’un laitier-nourrisseur occupe l’espace sur rue du bâtiment. Suit un entretien abracadabrantesque, dont vous pouvez lire l’essentiel ci-dessous :
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Le 27 décembre 1902, Le Matin évoquera une dernière fois l’affaire, et révélera qu’Emile d’Angelly, le « Messie » selon le « titre qu’il s’est lui-même attribué », s’appelle en vérité « Charles B » et citera quelques nouvelles affirmations de l’intéressé : « Toutes les nuits, je célèbre en ce logis les mystères de la magie noire (…) le meilleur de ma science me vient de ma grand’mère. On la nommait la Femme sans Tête. En effet, quand elle le voulait, elle faisait disparaître sa tête (…) Je sais guérir toutes les maladies, sans exception, par simple apposition des mains », se confie l’homme qui explique toutefois préférer les maléfices à la guérison. Sa spécialité ? « Faire tomber les dents et les cheveux des gens dont on veut se venger ». Mais ce n’est pas tout, il tue aussi, à profusion. Mais ne se dit pas inquiété par les autorités « car on ne peut rien prouver » et qu’il dispose de « puissantes relations ».

Alors, comment se débarrasser définitivement d’un indésirable ? « C’est si simple ! Il suffit de se procurer un objet ayant touché la peau de la personne, chemise, mouchoir, etc… On sculpte ensuite une statuette qu’on baptise du nom de celui ou de celle qu’on veut tuer, on la pique au coeur, puis on dit la messe des morts », s’amuse Emile. Il montre ensuite quelques portraits aux journalistes, qu’il commente avec ces mots : « Vous voyez ce gros-là ? (…) je l’ai entrepris il y a quelques jours, il n’en a plus pour longtemps, je vous l’assure. Et celui-ci, il est déjà fait ! ».

Cet article permet en outre d’avoir une description physique du bonimenteur, qui se vêtit comme un vampire : « Il n’a pas la figure d’un prophète, c’est un petit homme brun, portant les moustaches retroussées. Ses cheveux enduits de cosmétique descendent sur un front bas. Ses yeux sont cerclés de kohl. Son veston court s’ouvre sur une chemise de flanelle ». Et puis de son antre, sa « chambre noire » emplie, entre autres, de cierges et de statues religieuses : « le sanctuaire (…) est complètement tendu d’étoffes noires à bordures dorées. Au milieu est dressé un lit énorme, recouvert de gaze noire frangée de perles blanches. Sur une console, noire naturellement, brillent un ciboire et un ostensoir ».

Enfin, la presse se désintéresse d’Emile. Mais, comme le notait Le Matin en 1902, « les ennuis inhérents à son étrange profession n’ont pas découragé Charles B » qui continue ses activités ésotériques « moyennant quelque rémunération », évidemment. J’ai trouvé sa trace les années suivantes par le biais de petites annonces publiées dans le quotidien parisien La Lanterne.

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Cela permet de constater qu’en 1906, il exerçait toujours ses charlataneries à la même adresse (8 rue Cousin, soit 8 rue Roux aujourd’hui).

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A partir de 1908, ce cher Emile, devant peut être faire face à une clientèle moins facile à duper, s’est reconverti en masseur, toujours dans le même lieu. En 1909, une nouvelle annonce le présente encore ainsi. Qu’est-il devenu par la suite ? Finit-il ruiné ? A-t-il succombé lors de la première Guerre Mondiale ? N’ayant pas pu trouver son nom de famille, ceci reste malheureusement un mystère…

PS : L’immeuble d’Emile a été récemment détruit dans le cadre du plan d’aménagement de ce quartier (construction de nouveaux immeubles), mais voici ci-dessous quelques photographies, la première date de 1905, les suivantes de 2008 et 2014 :

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Crédits photos : Archives de la BNF ; DR ; Google


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