CLICHYRAMA

Deux monumentaux vases en bronze, ornés de satyres, trônent sur les allées Gambetta à Clichy. Il se dit qu’ils proviennent du magnifique domaine de Bagatelle, et que la Ville de Paris les a offerts à sa consœur de Clichy au siècle dernier. Cela est pourtant faux.

Étant moi-même une habituée de Bagatelle, lieu que j’affectionne particulièrement, j’avais remarqué l’exacte similitude entre les 2 vases des allées Gambetta, et celui encore visible aujourd’hui à Bagatelle. Et puis, j’avais lu, dans diverses publications sérieuses parlant des allées, leur origine affirmée : « on peut y découvrir (…) deux vases de bronze décorés de bas-reliefs, sur lesquels on peut voir le blason de la ville de Paris. Ils proviennent du parc de Bagatelle où le mécène Richard Wallace les avait placés« , indiquent notamment plusieurs dossiers de presse municipaux dédiés aux espaces verts clichois.

D’autres publications indiquent en outre que c’est le Conseil Général de Paris qui serait à l’origine de ce don. Jusque là, tout se tient, surtout que cette assemblée politique a existé de 1800 à 2015 en France. Alors, comme tout le monde, j’ai cru à cette belle histoire. Oui mais voilà, en m’y penchant pour obtenir plus de détails, j’ai constaté qu’elle était, bien que séduisante, totalement fausse.

Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est que les archives municipales (et particulièrement les registres de décisions des conseils municipaux) restaient muettes à ce sujet.

4 vases originels

A l’origine, les vases étaient au nombre de 4 et se dressaient sur la Place des Martyrs, côté boulevard Jean Jaurès. On en trouvait un dans chacune des pelouses entourant le kiosque à musique. Ils sont arrivés là avant l’année 1900, comme m’ont permis de le déduire des photographies d’époque.

Puis, on ne sait pourquoi pas plus qu’on ne sait quand, ils ont été déplacés et leur nombre s’est réduit de moitié. Où sont passés les 2 vases disparus ? Mystère. Ont-ils été fondus par l’armée allemande au cours de la seconde guerre mondiale ? Je n’ai pas réussi à trouver de réponse à cette question.

En revanche, j’ai pu lever le mystère de leurs origines. Sur les vases eux-mêmes, on peut lire les noms de leurs créateurs : Louis Villeminot (1826-1914) d’abord, sculpteur-ornementaliste ayant notamment travaillé sur la façade de l’opéra Garnier ; et Victor Thiébaut, de la prestigieuse fonderie éponyme.

Installés en 1897

Les archives de la fonderie Thiébaut Frères sont conservées au Musée d’Orsay, et leur consultation permet de découvrir que les 4 vases ont été commandés en 1897 par la Préfecture de la Seine pour la Ville de Clichy. Jamais, donc, ils n’ont mis leurs pieds à Bagatelle. Pour l’anecdote, chacun pèse 375 kilos.

Je me suis ensuite demandé si le vase qui se trouve encore à Bagatelle était l’un des 2 manquants à Clichy (la légende s’était peut être propagée en sens inverse). Mais cela n’est pas possible : car si on le doit également à Louis Villeminot, le fondeur n’est pas le même : il s’agit de la maison Gruet Jeune.

Et, là encore, les archives du musée d’Orsay vont m’être précieuses. J’y découvre qu’un vase identique à ceux de Clichy, qui est d’ailleurs plus ancien, est dû au duo Villeminot-Gruet Jeune et a été conçu en 1875 puis installé dans le 7ème arrondissement de Paris, à l’entrée du Square du Bon-Marché (aujourd’hui, le Square Boucicaut).

De nos jours, aucune trace de ce vase dans le-dit square. Aurait-il été transféré à Bagatelle ? Le mystère reste entier, et je laisse le soin aux nombreux historiens de Paris d’enquêter sur le sujet.

Il existe néanmoins plusieurs liens entre Clichy et le parc de Bagatelle pour qui veut chercher. Par exemple, la célèbre cantatrice Sophie Arnould, maîtresse de Belanger (l’architecte de Bagatelle) s’y est beaucoup promenée et s’est retirée dans une maison qu’elle s’est achetée à Clichy, rue Royale (actuel boulevard Victor Hugo) après leur séparation (acte de vente du 26 juillet 1787 disponible aux archives de Paris).

J’ai également trouvé une coupure de presse datant de la Belle Epoque, qui relate la triste découverte du corps sans vie d’un clichois dans un buisson du parc de Bagatelle. Et il existe probablement encore de nombreux autres exemples, mais j’ai beaucoup de retard à rattraper sur mes écrits relatifs au passé de notre chère ville de Clichy, alors ces découvertes annexes attendront…

Crédits photos : DR ; Ackteon