Découverte d’une tranchée-abri rue Simonneau

Simonneau39Après avoir entendu des rumeurs évoquant des souterrains sous la rue Simonneau, qui auraient permis à la population de s’abriter des bombes pendant la seconde Guerre Mondiale, j’ai mené ma petite enquête et ai réussi à les retrouver !

C’est Sylviane Gallet, une clichoise de 61 ans, qui m’a mise sur cette piste en me racontant les souvenirs de Lucette, sa belle-soeur, née en 1935 et vivant à l’époque au 14 rue Simonneau. « Lors des alertes, elle se rendait dans un abri sous le square en face de son bâtiment. A l’intérieur, c’était grand, il y avait du monde », me raconte-t-elle, appuyant ses propos d’une photographie de famille prise a proximité et que je reproduis ci à droite. Au dos, on peut lire : « Septembre 1939 – Souvenir de la donnée des masques à gaz ».  Y posent Eliza Gallet et sa fille Alice Gallet (l’une des soeurs de Lucette) accompagnées d’un voisin. Derrière eux, le mot « Dispensaire » est lisible, montrant que la photographie a été prise devant l’actuel Centre de Santé Chagall.

Sylviane ajoute que selon sa belle-soeur, l’entrée de l’abri se situait vers le mur, du côté du boulevard Victor Hugo, à l’endroit où se dresse désormais un palmier dans le Jardin Coluche. Bien sûr, aujourd’hui, on ne trouve rien d’autre à cet endroit qu’une bande d’herbe. Mais la partie n’est pas perdue pour autant.

Entrée dans la tranchée-abri

simonneau003Je fais confiance à mon intuition et c’est sous une plaque d’égoût que je trouve un accès à l’abri par le biais du puits de sa sortie de secours. L’accès de l’époque, lui, a été muré après guerre. Descendons, voulez-vous ?

Cet abri est un peu particulier : il s’agit de ce qu’on appelle une « tranchée-abri ». Communément, on s’abritait dans les caves-abris situées, comme leur nom l’indique, sous les immeubles. Il en existait plus de 300 à Clichy lors de la seconde Guerre Mondiale. Mais les espaces verts ont également été mis à contribution avec la construction de « tranchées-abris », qui permettaient d’abriter un grand nombre de personnes dans ces endroits parfois éloignés de tout autre refuge.

Les tranchées-abris étaient construites par les municipalités (d’autres, plus rudimentaires, étaient construites par certains industriels dans les cours de leurs usines, ou par des particuliers dans leurs jardins). A Clichy, on en comptait a priori 7 gérées par la Ville (Place de la Mairie, Place des Fêtes, Plateau Chance-Milly, rue Simonneau, Stade-annexe, Ecole Pasteur Maternelle, Parc Salengro) et je suis sur leurs traces, attendez-vous donc à ce que j’évoque de nouveau ce sujet bientôt.

Vandalisme enfantin

simonneau001A l’origine, l’éclairage était assuré par des lampes murales à piles. Mais ces dernières étaient fréquemment volées ou abîmées, et en 1942, la municipalité engagea la maison Vidard et Fils (66 boulevard Victor Hugo) pour procéder à l’installation de l’éclairage sur secteur dans les tranchées.

J’ai retrouvé aux archives municipales le rapport d’un gardien de la paix, daté du 27 juillet 1942 et qui évoque un cas de vandalisme : « A 10h30 nous avons été avisés par le gardien des abris, M FORGUES André, que des jeunes gens venaient de casser les portes des abris se trouvant rue Simonneau (…) trois enfants avaient cassé avec un marteau les deux portes des abris, ainsi que les serrures et deux lampes à accus. J’ai relevé l’état civil de ces enfants comme suit : René Charrie né le 20 octobre 1935 et demeurant chez ses parents 14 rue Simonneau à Clichy ; Jacques Brund né le 16 mai 1933 et demeurant à la même adresse ; Paul Leininger né le 12 mai 1933 demeurant à la même adresse », note le policier.

Bancs et latrines

simonneau005Peut-être vous demandez-vous ce que sont les petits carrés métalliques visibles le long des murs de la tranchée ? Il s’agit des fixations des bancs mobiles, dont les assises (disparues, probablement pour en récupérer les matériaux dans un après-guerre où l’on manquait de tout) étaient soit en béton, soit en bois. Les bancs étaient rabattables, pour fluidifier la circulation lors de la ruée dans les abris lorsque retentissaient les sirènes des alertes.

Dans l’abri, on trouvait donc des bancs, mais aussi des seaux, des pelles et des pioches (pour déblayer les gravats qui pourraient obstruer les entrées en cas d’éffondrement) et une tinette (WC mobiles très rudimentaires, sorte de chaise percée croisée avec un bidon métallique). Une note du Maire de Clichy, datée du 15 avril 1942, ordonne d’ailleurs de procéder au « relevé exact de toutes les tinettes (…) en indiquant le cubage de matières qu’elles contiennent ».

Vaste abri

simonneau002La photo ci-contre montre l’escalier d’accès d’origine, désormais condamné. Il se situe là où on l’attendait : sous le palmier planté en surface dans le square ! Au plafond, les bouches d’aération sont désormais murées. L’abri n’était absolument pas hermétique, voilà pourquoi des masques à gaz avaient été distribués à la population par les services de Défense Passive. Chaque usager de l’abri était prié d’apporter le sien lors des alertes. L’abri Simonneau pouvait accueillir quelques centaines de personnes : il s’étend sous le Jardin Coluche mais aussi sous la rue Fanny, qu’il traverse jusqu’au trottoir opposé au dispensaire.

Il faut savoir que les tranchées-abris n’étaient ouvertes que lors des alertes (au cours desquelles il était obligatoire d’aller s’abriter sous peine d’amende) par le gardien d’abri où, le cas échéant, le gardien de tranchée. Les archives municipales de Clichy conservent une note concernant l’embauche de l’un d’eux, un certain Jean Richefort, domicilé au 17 rue du Bois (note : rue Barbusse), engagé volontaire de défense passive au poste de gardien de tranchée, « il recevra à cet effet 6 vacations par jour de travail, ces vacations étant comptées à 9frs 50 ».

La rue Simonneau bombardée

simonneau007Le 21 avril 1943, lors d’un bombardement, une ogive tombe au niveau du 24 rue Simonneau sur une petite maison d’un étage. Celle-ci en fut totalement anéantie. « Lucette s’en souvient, c’est un chiffonnier qui vivait là », me précise Sylvianne. Aux archives municipales, je trouve un compte-rendu des secours relatif à cet incident. Aucun mort ne fut heureusement à déplorer, seules trois personnes furent légèrement blessées : Gisèle Delarue (34 ans), Odile Bailly (25 ans) et Georges Léopold Herchuelz (54 ans) se trouvèrent ensevelis sous les décombres, mais s’en tirèrent avec quelques égratignures et contusions seulement.

simonneau008Dans son livre « Naguère La Guerre », Michel Pariset raconte un épisode survenu à Clamart, mais qui aurait très bien pu se jouer rue Simonneau : « Je reporte mon regard sur les avions et je vois des chapelets de bombes noires qui descendent vers moi. Par bonheur je suis juste à côté d’une entrée de la tranchée-abri. Je m’y précipite sans plus attendre. A peine arrivé, une formidable explosion ébranle le sol (…). Dans l’abri, il y a maintenant beaucoup de monde et la déflagration nous a culbutés les uns sur les autres ».

Les alertes étaient de longueur aléatoire, elles pouvaient durer 10 minutes comme 5 heures. Il était conseillé à la population d’apporter de quoi boire et manger. Le tracé à angles droits des tranchées-abris était réglementaire, il avait pour but de prévenir les effondrements et de réduire les dégâts occasionnés par l’onde de choc consécutive à l’éventuelle chute d’un projectile à proximité, voire dans l’abri.

Allez, remontons à la surface, et à bientôt pour de nouvelles aventures !

Crédits photos : Gilles Thomas ; Sylviane Gallet ; Guy Planche ; Orianne Vatin


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